« Demolition » : de la difficulté d’être soi…
De Jean-Marc Vallée (2016 -101 minutes)
Avec Jake Gylenhaal, Naomi Wats, Judah Lewis, Chris Cooper, Heather Lind, Polly Draper,…
« Demolition » est un chef d'oeuvre, un film audacieux et différent.
Certains s'arrêteront à son côté loufoque et passeront à côté de l'essentiel.
Ce film aborde tellement de sujets profonds et complexes. Il parle bien entendu du deuil puisqu'il s'agit d'un homme qui perd subitement sa femme dans un accident de voiture. Sauf que cet homme, magistralement interprété par Jake Gyllenhall, ne ressent rien.
Chacun a sa manière d'affronter la perte d'un être cher. Il n'y a pas de règle. Et personne ne sait à l’avance comment il va réagir. Surtout, personne ne doit dicter la façon d’affronter ce choc.
Mais le film aborde aussi la liberté. Ou plutôt le courage d'être soi. Il est tellement plus facile de se raconter des petits mensonges quotidiens. Sauf que souvent la vie vous rattrape et la vérité vous saute à la figure. Dans ce cas, que feriez-vous ?
Comme son titre l'indique, il est aussi question de reconstruction. Ou plutôt, de la nécessaire déconstruction préalable à la guérison. Le film l'illustre à travers une douce folie poétique lorsque le veuf se met à tout démolir, pièce par pièce. Tout y passe : la machine à café, le réfrigérateur, l'ordinateur...Outre cette étude métaphorique passionnante de la psychologie humaine, il y a aussi une critique de la société de consommation à la « Fight Club » (David Fincher, 1999), une analyse de notre rapport au matérialisme. En tout cas, c'est vraiment jubilatoire de voir cet avocat embauché dans un grand cabinet dirigé par son beau-père, totalement péter les plombs après le décès de sa femme. Cela paraît fou pour des sujets aussi tristes et complexes que la mort et le deuil, mais on rit ! Cet humour décalé fait du bien.
En outre, le plus équilibré n'est pas forcément celui qu'on croit.
Ce beau père, bien campé par Chris Cooper, s'étouffe littéralement dans ses conventions. Il est notamment incapable de se libérer des pesanteurs des apparences et des traditions. Tout comme nous, public éberlué par le comportement très étrange du gendre, le beau père ne comprend pas qu’on puisse vivre un deuil autrement que lui et que ce que la société demanderait.
L'attitude déroutante de Davis, le héros, captive littéralement. Cette focalisation du détail, cette névrose obsessionnelle qui pousse à tout détruire pour mieux comprendre et ordonner les choses, est franchement époustouflante dans sa démonstration.
Jake Gylenhaal est d’ailleurs parfait dans ce rôle de veuf hagard, planeur, déboussolé, perdu au milieu de nulle part et prêt à tout pour mieux redémarrer
Pourtant, petit à petit, le sentiment d’étonnement et de dérangement se change en intérêt. On entre dans le fonctionnement du héros jusqu'à identifier son puzzle intérieur. Il s’agit d’une transformation progressive et libératrice. Cette frénésie de déconstruction n’est qu’une métaphore de la déconstruction d'une vie plus que factice et vide de sens. Ces pulsions de démolitions sont en réalité nécessaires au héros pour se reconnecter à son être profond.
Dans la 2e partie du film, de nouveaux thèmes tout aussi profonds apparaissent: l'adolescence, l'identité sexuelle, l'homophobie, ou encore la transmission.
Sans oublier une jolie histoire d'amour ou pour le moins d'amitié ambiguë avec cette mère de famille folle dingue subtilement jouée par Naomi Watts. Mention spéciale également à Judah Lewis, jeune acteur étonnant dans le rôle de l’adolescent. Sans oublier la charmante Heather Lind, épouse décédée qui hante Davis par de soudaines visions. La musique joue également un rôle important avec de belles alternances entre rock enlevé et piano mélancolique.
C'est superbement filmé, avec parfois des trouvailles visuelles incroyables comme la course de garçons filmée à l'envers au ralenti ou Jake Gylenhaal fendant la foule à contre-sens et au ralenti également.
Ce film est indéniablement intelligent. Certes, il peut provoquer un certain malaise au départ. Mais au final, il nous interroge sur la vie et ses travers qui peuvent parfois nous formater à tel point d’oublier qui l’on est. Une vraie claque en pleine face. Démolir cette façade en carton pour retrouver les bases et renaître. Se réveiller et prendre un marteau pour tout démolir, peut-être la meilleure manière de se retrouver après un tel choc. La vie, quel joli manège…