“Le Passé” : « …notre passé est devenu encore plus obscur…»
De Asghar Farhadi (2013 – 130 minutes)
Avec Bérénice Béjo, Ali Mosaffa, Tahar Rahim, Pauline Burlet, Elyes Aguis, Sabrina Ouazani,…
Pas aussi abouti qu’ «Une Séparation» (2011), le précédent film du réalisateur iranien, Asghar Farhadi, qui avait connu un succès international, « Le Passé » arrive pourtant à capter notre intention et n’est pas dénué d’intérêt.
Comme un clin d’œil à son titre et à sa thématique, le film porte sur ses épaules les succès de ses principaux artisans : le réalisateur iranien était très attendu après son succès incroyable avec « Une Séparation » et Bérénice Bejo sortait également d’un succès planétaire avec « The Artist », couronné pour elle par un César de meilleure actrice. Enfin, Tahar Rahim est une des jeunes stars montantes à suivre parmi les acteurs français. Ce « passé » semble donc lourd à porter pour ce film qui ne s’en sort pas si mal finalement.
De la même manière, le passé d’Asghar Farhadi influence aussi sa réalisation.
Avant tout, on sent qu’il a été formé par l’école du théâtre puisque l’histoire se déroule quasiment en un seul lieu et dans un temps relativement court.
Ensuite, le réalisateur fait parler ses talents de chef décorateur. Tournant pour la première fois en France et à Paris, il redoutait d’être submergé par son émerveillement pour l’architecture locale. Aussi, a-t-il choisi de tourner en banlieue parisienne et de construire de A à Z une maison artificielle typique du 20e siècle. Le décor tient donc une place importante dans le film puisque c’est cette maison qui réunit les trois protagonistes principaux, tous y ayant soit déjà vécu soit y vivant encore.
Asghar Farhadi pousse l’analogie du passé avec le décor jusqu’à utiliser la rénovation de certaines pièces comme symbole de ce passé que l’on tente justement d’oublier ou du futur qu’on souhaiterait aborder sur de nouvelles bases. Ainsi, l’un des enfants en colère renverse cette peinture censée effacer les traces du passé. Ou encore le personnage iranien, Ahmad, joué par Ali Mosaffa, se fait une tâche sur l’épaule en s’appuyant contre la peinture fraîche…Plus encore, la fameuse tâche sur la robe ayant déclenché le drame pour la femme de Samir (Tahar Rahim).
Avec ce nouveau film, le réalisateur iranien conserve ses thématiques de prédilection : la complexité des relations amoureuses, la séparation d’un couple sans oublier les conflits familiaux. La meilleure réussite du film réside dans le mystère qui tourne autour de ce triangle amoureux et de leur passé respectif. On se demande tour à tour qui ment, qui cache quoi, qui est sincère et qui ne l’est pas. Chacun s’enfonce dans ses propres contradictions et la tension augmentant, on craint que ça ne dégénère à tout instant.
Le mystère est surtout servi par la performance inégale des trois acteurs. Bérénice Béjo est assez emblématique à ce sujet : brillante dans certaine scènes où l’on se demande si elle ne manipule pas à la fois son ex et son nouvel amant, elle surjoue aussi à d’autres moments laissant comme un arrière goût bizarre chez les spectateurs. Sa prestation lui a pourtant valu un nouveau César et le Prix d’interprétation féminine à Cannes. Ali Mosaffa est également déconcertant. Certes, jouer dans une langue étrangère n’est pas aisé. Mais une telle nonchalance dans l’expression et une telle lenteur dans le jeu, laissent perplexe. Enfin, Tahar Rahim est assez décevant : engoncé dans son perpétuel rôle d’adolescent banlieusard rebelle, il est peu crédible en père célibataire et en chef d’entreprise.
Mais la magie du cinéma opère tout de même : l’intrigue de cette femme indécise entre son ex et son nouvel amant crée une alchimie surprenante qui finit pas nous capter. Construit-elle volontairement la rivalité entre les deux hommes ? Y-a-t-il vraiment de la jalousie entre eux ? Aime-t-elle encore son ex ? Aime-t-elle vraiment son nouvel amant ou n’est-il qu’un instrument pour l’aider à oublier son passé ?
Sans oublier la partition importante jouée par les enfants, comme souvent les premières victimes de des relations tumultueuses entre adultes. Mention spéciale à la jeune actrice belge Pauline Burlet, très juste dans son interprétation de l’aînée des trois enfants. Son très jeune frère est assez bien incarné également par Elyes Aguis.
Enfin, le film a l’audace de se confronter à la problématique complexe du coma. Comment se tourner vers son avenir lorsque sa bien aimée est plongée dans un coma et pourrait tout aussi bien se réveiller comme ne jamais revenir ? Le réalisateur explique ainsi que le « film tout entier se construit sur cette notion de doute, sur cette notion d’entre-deux. Les personnages sont constamment face à un dilemme. Ils sont à la croisée de deux chemins.»
C’est ce même doute et ce même dilemme qui sous-tend toute l’histoire. « Aujourd’hui, nous gardons des traces de notre propre passé, il devrait être plus proche qu’il ne l’était autrefois. Malgré les photos, malgré les emails, notre passé est devenu encore plus obscur. La vie d’aujourd’hui tend peut-être à vouloir aller de l’avant en ignorant le passé. Or, l’ombre de celui-ci continue de peser sur nous et de nous ramener en arrière. Il me semble que c’est vrai en Europe comme dans le reste du monde, on a beau essayer de se propulser vers l’avant, le poids des événements passés continue de peser sur nous » commente Asghar Farhadi.
A la lumière de l’actualité très chargée, cette réflexion prend tout son sens et justifie à elle seule de regarder cette nouvelle œuvre du nouveau maître du cinéma iranien.